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En souvenir d’une poignée de poètes fraternels, lire l’Ami lointain Serge PRIOUL. Accueillir à plein cœur, cette folie douce qu’il a eue de construire à mains nues, dans le hameau de Mirouault, en pays Gallo, un mur supplémentaire pour ses enfants. Seul, ou bien accompagné par un oiseau, un chien, un copain d’école, une épouse photographe et aimante. Seul, mais peuplé intérieurement de présences familières, littéraires et discrètes par ordre d’apparition, Michaël GLÜCK (prologue amical), James SACRÉ, Paul CELAN et Thierry METZ cités ou évoqués en exergue, Richard BRAUTIGAN ensuite...
Ce mur qui monte au ciel s’arrête avant. Il a un plan secret de poème tangible. Il se refuse à le réprimer ou le ratatiner dans le geste concret. Il attend la jointure temporelle des heures de répit physique pour le convoquer. Le poème est tiré des profondeurs, mais il est hissé à fleur de paumes, il est ponctuel et surgissant. Le poème n’est pas réglé au fil à plomb mais il tient droit et solide avec ses angles intelligents et ses proportions aérées. Le poème contient toute la fatigue et le silence de la fatigue. Le poème est un contremaître rêveur, fugueur immobile à pied d’œuvre. Le poème ne se laisse pas lisser à l’acier, il est doux, et il aime les irrégularités de la parole, les formes inattendues. Il aime les rondeurs des fours à pain. Il aime caresser la pierre au gant de sable et interroger sa moiteur perdue. Comme Charles Juliet, il cherche la densité du galet pour chaque poème. Comme Thierry Metz ou Richard Bautignan, ils savent ce que ça coûte en découragements surmontés.
Les murs seuls nous écrivent
Fendre la pierre, tendre les mots aux lecteurs et lectrices. Non au hasard, mais au gré des fractures invisibles au premier regard. Cisailler la pierre pour l’ouvrir et la faire parler. Laisser chauffer la pierre au soleil, brûler le poème jusqu’aux cendres… Tout ce gris s’infiltre et refait peau du soir dans la démobilisation lasse des outils qui trempent, de nuit. La ritualisation des gestes et la persévérance se parlent en langue ancienne, le monologue principal en Gallo singularise l’origine du parler maçon, du parler des humbles et sa convergence avec le palper du granit… Pour écrire un « vrai poème », il faut des convictions mais surtout des mains… Le poème imprime le vécu et le valorise, certain.e.s diraient le sacralise.
Le mur est un témoin de « l’aventure intérieure » chère à Charles Juliet, il est l’œuvre à lire dans l’intemporel, il est parfaitement enraciné dans la vie laborieuse, la vie créative et travailleuse , exaltante par oubli de soi. Don absolu s’il en est !
Il y a tellement de pépites dans ce quatrième livre de Serge, que les énumérer serait en dévoiler tout le contenu…A chaque page, chaque poème semble contenir tout l’élan bâtisseur initial sans s’épuiser. Je n’en choisirai donc que trois, juste pour donner envie d’aller voir ce mur de toutes les audaces qui relie au lieu de séparer les vies et les sublime simplement.
Pour une somme dérisoire à la vente, un homme d’aujourd’hui a élevé un mur de mots qu’il veut bien partager avec celles et ceux qui en reconnaîtront la valeur humaine et poétique.
Quand tu ne maçonnes pas
tu ranges
Tes pierres dans la tête
tu tries
Ton envie de faire
Avant la taille
c’est défi
Un joint c’est silence
Le garni des informes les éclats
c’est non-dits
Tu penses mur
Jusqu’au moment où
Te parvient
Poème
…/…
Toujours les gestes
les mêmes
Les seaux glacés
qu’il faut remplir au bac
La colle dans la brouette à la truelle
Tu mouilles
Tu délaies
il en faut peu pour finir la journée
Les parements à monter
plomber
ébaucher ce que sera le mur
Toujours seul tu ne parles pas
tu forces
Crocher
était le verbe de mon père
sa langue des carrières
Puis le soir laver les outils qu’on entasse
ou qu’on abandonne
Les aciers ont la nuit pour sécher
Le dos lui n’a pas de mots
si on y oarvient
peut-être
Fin
…/…
Aujourd’hui au soleil de la maison
Il faut tailler la vigne vierge
Contre un des corbelets de granit
Entre deux printemps
Bel ouvrage un nid abandonné
Solidarité de maçon
tu l’as laissé entre les pierres
Nom Gallo du troglodyte
c’était un nid de béruchet
Serge PRIOUL, Mirouault les murs seuls nous écrivent,
Editions La plume de Léonie, Avril 2024, p.45, 54-55, 59 .